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Le montant de la dette étudiante américaine est estimée à environ 1 500 milliards de dollars.
Arena/Shutterstock

Jean-Philippe Ammeux, IÉSEG School of Management

La croissance rapide de la dette étudiante américaine inquiète de nombreux observateurs qui craignent l’éclatement d’une crise financière systémique analogue à celle des subprimes.

Le montant de cette dette est de l’ordre de 1 500 milliards de dollars. Le coût de plus en plus élevé des études supérieures et la réduction des financements publics, entraînent un recours massif à l’endettement de la part des étudiants. Cependant, la nature de cet endettement est bien différente des autres crédits contractés par les ménages américains. En effet, à la différence des crédits à la consommation et des crédits immobiliers, le crédit destiné aux études supérieures permet la constitution d’un capital humain susceptible de générer des revenus futurs potentiellement élevés.

Les études de l’OCDE montrent clairement que l’investissement dans les études supérieures est très rentable. Aux États-Unis, l’Université de Georgetown a montré que les titulaires d’un bachelor ont une espérance de revenu, sur l’ensemble de leur vie, supérieure d’environ 1 300 000 dollars à ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures. La dette étudiante moyenne, proche de 30 000 dollars, est remboursable aisément par la majorité des diplômés sachant, qu’en moyenne, le titulaire d’un bachelor débute dans la vie professionnelle avec un salaire annuel supérieur à 50 000 dollars.

Selon l’OCDE, l’investissement dans les études supérieures reste très rentable.
OCDE

De façon surprenante, Judith Scott-Clayton de l’Université de Columbia a en outre observé que plus les étudiants contractaient des dettes importantes, moins ils faisaient face à des problèmes de remboursement. Ceci s’explique par le fait que les meilleures universités américaines, le plus souvent des institutions privées non lucratives (fondations, associations), sont chères mais offrent de belles perspectives professionnelles. L’investissement en capital humain dans les études supérieures de qualité est donc une très bonne chose pour l’avenir des jeunes et de la société (les gains privés et publics sont élevés), même si cela conduit à un endettement important.

Un taux de défaut qui reste élevé

Sachant par ailleurs que 81 % de la dette étudiante américaine est financée sur fonds fédéraux, on voit bien qu’il n’y a pas de comparaison possible avec la crise des subprimes en matière de diffusion d’une crise systémique.

Néanmoins, si le volume de la dette étudiante américaine n’est pas un problème en soi, on constate que les défaillances de remboursement ont fortement progressé. La Federal Reserve Bank of New York révèle ainsi que le taux de défaut grave de remboursement est passé de 6,03 % au premier trimestre 2006 à 11,83 % au troisième trimestre 2013, lorsqu’il a atteint son maximum. La crise de 2007-2009 a eu un impact important sur l’emploi des Américains, y compris les diplômés de l’enseignement supérieur. Mais, ce qui est surprenant, c’est que ce taux de défaut reste élevé, 11,42 % en décembre 2018, alors que la situation de l’emploi s’est considérablement améliorée. Il convient d’en rechercher la cause, qui est de nature structurelle, et d’identifier les mesures correctrices.

En se fondant sur des données détaillées fournies par le département américain de l’Éducation, Judith Scott-Clayton révèle que les défaillances de remboursement sont particulièrement concentrées sur les établissements privés lucratifs (for-profit). En outre, ses prévisions sont pessimistes : le taux de défaut des emprunteurs ayant fréquenté un for-profit college pourrait atteindre 70 % en 2023. Ceci est incomparable avec le taux de défaut enregistré après l’obtention d’un bachelor dans une institution publique ou privée non lucrative.

400 000 dollars de publicité par jour

Alexander Angulo, dans son livre Diploma Mills : How For-Profit Colleges Stiffed Students, Taxpayers and the American Dream, dénonce les pratiques peu scrupuleuses de ce type d’institution depuis le XVIIIe siècle. Il remarque que la recherche de profit rend très difficile la compatibilité avec les standards académiques et professionnels :

« Si vous êtes dépendant des profits trimestriels, des revenus de scolarité, si votre principal objectif est d’impressionner les investisseurs, cela conduit à tronquer l’objectif fondamental de l’enseignement supérieur. »

Dans une étude menée pour le département du Trésor américain, Nicolas Turner et Stephanie Riegg constatent, qu’en moyenne, l’écart de revenu entre ceux qui ont fréquenté un for-profit college et ceux qui ne sont pas allés dans l’enseignement supérieur, n’est pas statistiquement significatif. Cela signifie qu’un grand nombre de formations dispensées par ces établissements ne correspondent pas aux besoins de l’économie. En référence à la définition de l’OCDE, elles représentent un investissement en capital humain nul !

En 2012, l’Université de Phoenix était le premier annonceur publicitaire de Google.
Ken Wolter/Shutterstock

On peut alors se demander pourquoi ces institutions ont connu un succès considérable en quadruplant leurs effectifs étudiants entre 2002 et 2010 (de 382 600 à 1 590 000 étudiants pour les formations de type de bachelor ou plus). Voici quelques explications que nous pouvons avancer :

  • Elles se sont adressées prioritairement à des populations relativement fragiles et peu informées – des Afro-américains, des personnes de milieu pauvre, des first generations (étudiants dont les parents ne sont pas allés à l’université) – et se sont acheté une légitimité avec la publicité. Par exemple, fin 2012, l’Université de Phoenix était le premier annonceur publicitaire de Google avec une dépense proche de 400 000 dollars par jour.
  • Elles ont bénéficié de la complicité involontaire de l’État américain qui accorde de façon quasi systématique, sans vérifier une réelle accumulation de capital humain, des prêts sur fonds fédéraux. Il est probable que les banques auraient été plus prudentes.
  • La grande récession américaine (2007-2009) a créé un effet contra-cyclique d’accroissement de demande de formation (besoin d’être mieux formé face à la baisse de la demande de travail et réduction du coût d’opportunité des études), qui a largement bénéficié à ces établissements.

Comportement prédateur

Mais, depuis quelques années, de nombreux for-profit colleges font l’objet de recours en justice pour leurs pratiques trompeuses et mensongères. 98,6 % des plaintes enregistrées par le département de l’Éducation viennent d’étudiants victimes d’institutions lucratives. Ainsi, le groupe privé Corinthian Colleges a payé une amende de 30 millions de dollars pour publicité mensongère concernant notamment les emplois des diplômés, avant de disparaître. La crise de réputation et l’effet contra-cylique de la reprise économique ont entraîné une baisse de 679 000 étudiants dans les for-profit colleges (- 43 %) entre 2010 et 2017. Sur la même période, les effectifs des universités publiques ont augmenté de 11,7 % et ceux des universités privées non lucratives de 6,2 %. La bulle des for-profit colleges est illustrée par l’évolution de leurs effectifs depuis 2002.

Évolution des effectifs dans les for-profit colleges (formation en quatre ans ou plus).
Nces.ed.gov

Finalement, la logique de marché conduit à une implosion du secteur for-profit dans l’enseignement supérieur américain, ce qui est similaire à la crise des subprimes. Dans les deux cas, des prêts ont été accordés à des populations fragiles pour des projets, d’éducation ou immobiliers, non soutenables. L’implosion du secteur for-profit devrait naturellement résoudre les problèmes de remboursement de la dette par les diplômés, mais cela prendra encore plusieurs années.

Pour éviter que des millions de jeunes se retrouvent piégés par des institutions lucratives peu scrupuleuses, il nécessaire d’instaurer une régulation plus stricte en contrôlant rigoureusement la qualité des formations et l’adéquation avec les besoins de l’économie. C’était l’intention de Arne Duncan, secrétaire d’État à l’éducation de Barack Obama qui voulait mettre fin aux dérives de ceux qu’il qualifiait de « bad actors », et qui étaient généralement des institutions lucratives. Mais le dispositif mis en place dans cette perspective, le Gainful Employment Rule, n’a pas été finalisé dans son exécution avant l’élection de Donald Trump. Une fois élu, celui-ci a fait en sorte qu’il ne soit pas appliqué.The Conversation

Jean-Philippe Ammeux, Directeur, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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